Louis Cane

La série de peintures sombres que présente aujourd’hui Louis Cane est la conséquence formelle d’un travail qui se développe depuis1967, sur toiles sans châssis présentées tendues au mur ou au sol. La question de la présence ou de l’absence de châssis n’est pas ici à penser en termes de nouveauté ou d’originalité, elle est à penser en liaison à la mise en scène et au geste analytique, ou si l’on préfère, critique, que l’artiste propose.

Dans l’organisation formelle de cette série, il s’agit pour Louis Cane d’inscrire, entre autres, de façon synthétique, la mise en évidence des déterminations et des conséquences du procès de travail du matériau qu’il utilise. Ces toiles jouent plastiquement leur sens didactique.

Qu’en est-il en effet de l’action de coupage de la toile, action qui crée une peinture découpée ? On ne s’est, me semble-t-il, pas suffisamment intéressé dans l’analyse des collages, ou des papiers découpés, disons par exemple de Matisse, au relief que crée sur le support l’épaisseur du papier, relief que chez Matisse un certain nombre de traits de crayons (le plus souvent absents des reproductions) vient contrarier.

C’est de ce relief, le relief de l’épaisseur du cane- vas coupé, que traite la présente série. Relief que j’assimilerai à la tranche d’un tableau présenté sur châssis. Un certain nombre d’artistes modernes se sont déjà préoccupés de cette question de la tranche du tableau non encadré.

Cette question est ici jouée comme critique de l’unité de surface dans la prise en considération de l’épaisseur du matériau qui réalise cette surface. La bande de toile plus sombre découpée dans le rectangle et rabattue en épaisseur sur l’autre partie de la toile accentue la mise en évidence du cadre hors-cadre de la peinture. Elle établit de cette façon dans le double carré qu’elle met en scène (le plus petit carré qu’elle limite et le plus grand elle s’inscrit comme une sorte de C* majuscule géant) la liaison entre la détermination formelle et le procès de constitution (découpage) des formes.

Cette bande, qui ne peut pas ne pas évoquer un cadre ouvert, reporte sur la peinture l’envers et l’épaisseur du support de canevas elle a été coupée ; canevas qui, par ce fait, se trouve (dans son épaisseur justement) découpé sur le mur. Je dirai qu’ici l’objet se réduit à l’explicitation de sa réalisation conceptuelle et de ses conséquences. L’une de ses conséquences étant de se mettre en question en tant qu’objet, de n’accepter comme support représentatif que la minceur de son matériau. […] Le conflit entre l’espace réel : le mur, et la proposition interprétative (analytique) : la peinture, se charge de l’inscription de l’un sur l’autre et produit cet irréductible paradoxe : les couleurs. « Découper à vif » dans le canevas fait surgir le mince relief (le relief du canevas) qui qualifie les couleurs et se laisse emporter dans leur sombre profondeur, leur profondeur sans fond…

Marcelin Pleynet, Texte de l’exposition , Galerie Leo Castelli de New York, mars 1977

L’artiste