Ellsworth Kelly

Maîtres de l’abstraction

Les derniers Stella, sans être des sculptures se déplient dans les trois dimensions ; Noland, célèbre pour ses longues bandes de couleur, lisses, mates, Poons dont la subtile géométrie frôlait l’art optique, donnent maintenant dans le flou, le dégradé, le mélange, manières pour lesquelles, déjà en 1965, Olitski abandonnait les aplats de couleurs franches. Et même Kelly, auteur en 1954 de l’un des tout premiers tableaux rigoureusement symétriques (Bridge Arch and Reflection), montre dans ses dernières expositions des constructions apparemment déséquilibrées. Peinture « Color-field », « Hard-edge », « Shaped canvas », « Post-Painterly Abstraction », les Européens ont eu bien du mal à accepter ces vastes étendues de peinture uniforme et monochrome qu’ils trouvaient primaires et peu raffinées.

Aujourd’hui que cette peinture est acquise (la nouvelle vague de peinture en France le manifeste) fort d’une connaissance toute neuve – « la peinture a lieu dans un espace à deux dimensions» – il ne faudrait pas regarder d’un œil trop sceptique cette évolution des Américains vers le travail d’un espace plus ambivalent, à la fois plat et profond. Plu- tôt, rechercher ce qu’elle signifie, dans le contexte actuel, par rapport à leur production antérieure. Ne pas juger si cela est «meilleur» ou «moins bien» – la critique d’art n’est plus de décerner des palmes – mais comprendre quelle connaissance nouvelle elle nous apporte, immanquablement, de leur peinture.

 

La réaction à l’abstraction expressionniste Cette nouvelle abstraction, qui s’affirma aux Etats-Unis dans le courant des années 60, est généralement présentée comme une réaction à l’Expressionnisme gestuel qui, jusqu’à la fin des années cinquante, domina la scène artistique. En fait, ce que mettaient en cause des peintres comme Stella, Noland, Louis, Kelly, regroupés par l’activité critique de Clement Greenberg, n’était pas tant les principes originels de cette peinture que cet académisme de l’expressivité qu’elle avait fini par produire.

Catherine Millet, art press, novembre 1973

L’artiste